Ce matin, en me réveillant, alors que mon corps et mes sens reprenaient conscience de la triste réalité de mon existence, je me disais que cela suffisait, qu’il était temps d’agir et d’avoir un vrai projet de vie, comme tout le monde et qu’il était hors de question que je passe une journée de plus à rêver à ce à quoi j’allais bien pouvoir rêver et qui serait, je le savais pertinemment, une énième journée pathétiquement mortelle. J’ai envie de vivre des sensations fortes, de prendre des risques et de faire monter mon adrénaline au point d’en vomir.
Je vais devenir sociopathe. J’ai lu récemment que la sociopathie n’était pas ce que l’imaginaire collectif fantasme et que tous les sociopathes n’étaient pas des tueurs sanguinaires en série. Les plus grands sociopathes sont en réalité les grands patrons d’entreprises et les gouvernants. Et moi aussi je veux être une grande patronne et gouverner. Le sociopathe est, selon le petit Robert (qui n’est, d’ailleurs, pas si petit que cela) une personne affectée de troubles de la personnalité entraînant un comportement asocial. Asocial, qui est inapte à vivre en société. Je me reconnais dans cette définition. Je me reconnais dans pas mal de définitions d’ailleurs, raison pour laquelle, après avoir fait des tests très sérieux sur internet, je suis HPI, HPE, HPTT (je ne sais pas ce que ça veut dire mais ça sonne bien) et peut-être bien HP tout court mais pour celui-là, je n’ai pas fait le test. Je suis aussi Balance, mais cela n’a pas vraiment de rapport. Quoique.
Revenons-en à la sociopathie. Est-ce qu’on naît sociopathe ou est-ce qu’on le devient ? À priori, c’est une question de génétique et de facteurs environnementaux. Pour la génétique, je devrais faire un bilan et un scanner et vu les délais d’attente déjà pour un simple rendez-vous avec mon généraliste, je vais laisser tomber. Concernant les facteurs environnementaux, là c’est intéressant parce que c’est vraiment sur ce point que je mise tout. A-t-on vécu une enfance douloureuse, des traumatismes, des humiliations ? Je me rappelle un évènement particulièrement traumatisant de mon enfance où, pour m’apprendre à nager, mon oncle m’a jeté à l’eau, comme ça, sans mes brassières Winnie l’Ourson et m’a dit « débrouille-toi » (version polie de ce qu’il a réellement dit). Si j’écris ces lignes aujourd’hui, c’est que je m’en suis sortie mais j’ai quand même bu plus d’une tasse. Autre évènement traumatisant, ce même oncle (il faudra vérifier cette histoire de génétique, tout de même) a tué un canard, sous mes yeux. Le canard lui a échappé et s’est mis à courir dans tous les sens, sauf qu’il n’avait plus de tête. Le canard. Et le soir même, ledit canard était dans un plat sur la table. Je n’ai jamais mangé de canard de ma vie. Dernier évènement traumatisant, le pire, le jour où j’ai demandé à ma mère un câlin qu’elle m’a refusé sous prétexte qu’elle partait travailler. En une fraction de seconde et par ce simple refus j’ai subi ce que l’on nomme dans le jargon psychologique, les cinq blessures de l’âme : abandon, rejet, humiliation, trahison, injustice. Le voilà le point de départ de tous mes problèmes, ce fameux câlin refusé d’un mercredi matin de mai 1984.
On peut donc devenir sociopathe si notre environnement n’a pas été favorable. Je me demande aussi s’il n’existe pas un tuto ou une formation pour le devenir, en plus il y a le gars de mon compte formation qui n’arrête pas de me téléphoner à propos de mon solde qui arrive bientôt à échéance. La prochaine fois qu’il m’appelle, il faudra que je lui demande si c’est pris en charge.
Je commence donc par le commencement, faire un test sur internet. Résultat : indication très forte de sociopathie. Je suis émue. Je me sens dans ma voie, celle que je cherchais depuis longtemps et ce test vient de me révéler. Je savais que mon intuition était la bonne. Je me mets à rêver que Konbini vient m’interviewer chez moi et que je deviens célèbre pendant au moins 24 heures, 48 si je suis photogénique (ce n’est pas gagné mais 24 heures de notoriété me convient déjà très bien, c’est un bon début). Au bout de quelques minutes de rêvasseries intenses, je pense au fait que je suis, aussi, hypersensible et hyperémotive (projet de la semaine dernière de devenir hypersensible) et que cela me semble s’accorder difficilement avec la sociopathie dont les principales caractéristiques sont le manque d’empathie et de remords. Le simple fait que je sois émue à l’annonce du résultat de ce test révèle une légère dissonance… Restons dans le déni.
J’ai repensé à ce cliché de l’enfant qui tue un animal innocent, généralement un gentil petit lapin blanc, dans les films d’horreur et dont on sait que ce geste est déterminant pour la suite de l’histoire, que l’escalade de la violence commence à cet instant précis.
Je vais donc tuer un animal… Rien que d’y penser j’ai envie de pleurer mais je dois me faire violence, marre d’entamer des projets et ne jamais les finir. D’ailleurs ça pourrait être le début d’un bon tuto à mettre sur Youtube parce que je n’en ai pas trouvé. Je vais donc commencer par tuer une mouche, pour voir, parce qu’en vrai une mouche ça fait un peu chier. Je dis ça parce qu’il y en a une sur la fenêtre, ce serait donc facile… Bim ! Je viens d’éclater la mouche sur la vitre. Bon, faudra nettoyer… Je ne panique pas, j’ai regardé Dexter la semaine dernière. La mouche gît sur le sol, je la regarde pour voir ce que cela me fait et je suis aussitôt envahie par un sentiment intense de culpabilité. Je pense au fait que c’est peut-être ma grand-mère que je viens de tuer et qu’elle n’en a pas finie avec son cycle de réincarnation, pardon mamie. Je décide de tenter un massage cardiaque avec mon auriculaire gauche mais en voulant bien faire j’ai juste fini le travail. Je ne savais pas qu’une mouche était aussi fragile, quand on sait qu’en temps normal elle arrive à se relever après quatorze coups de torchons… Je pleure et demande pardon à la mouche. Je la ramasse et la pose sur le rebord de la fenêtre en pensant à sa famille qui pourra récupérer son corps. C’est important pour faire le deuil. J’attrape mon téléphone et tape avec mes pouces tremblants « mouche » dans mon moteur de recherche. Je lis qu’elles sont sur terre depuis 240 millions d’années (j’ai tué l’équivalent d’un dinosaure, je me sens conne) et qu’elles participent à l’élimination des déchets organiques produits par les êtres vivants et notamment les hommes, donc moi. La mouche participe à éliminer ma propre merde et moi j’ai tué la mouche. Je vais mettre du temps à m’en remettre…
Je refais le test de sociopathie et je réponds « oui » à la question « ressentez-vous du remords, de la honte ou de la culpabilité après avoir blessé quelqu’un ». Finalement le résultat est : « indication modérée à la sociopathie ». Je ne sais pas si ça me rend plus triste ou moins triste parce que d’une, je perds quand même un projet sur lequel j’avais fondé beaucoup d’espoir et de deux, ce résultat me met en pleine figure ce que je refuse d’admettre : je suis dans la moyenne. Je suis toujours dans la moyenne. Je suis une personne lambda. Sauf que moi je veux être différente, je veux que les gens me regardent et me plaignent et me posent des questions. La sociopathie c’était un vrai sujet, pas commun en plus. Et puis j’aimerais ne plus avoir d’empathie, ne rien ressentir, ne plus subir, ne plus avoir d’angoisse. La sociopathie n’est que la résultante d’une super adaptation à notre époque. Le sociopathe est le précurseur de l’Homme capable de survivre dans ce système impitoyable. Je pense aux bébés tortues qui doivent sortir du sable et se frayer un chemin jusqu’à l’océan et au fait que les mamans tortues sont quand même très sadiques de pondre leurs œufs aussi loin. Résultat, les plus fortes s’en sortent, les autres meurent. La nature est impitoyable et il n’y a que l’humain qui se pose des questions existentielles sur ces émotions, sur ce qu’il ressent, sur mettre des mots sur des maux. D’ailleurs je constate que plus j’ai de mots et plus j’ai de maux et qu’à force de me chercher j’ai juste fini par me perdre. Fais chier ! Je voulais vraiment être sociopathe ! Et puis j’imaginais déjà les conversations en société : « oh, comment tu vis ça ? Et ça se passe comment dans ton quotidien ? Tu as déjà eu envie de tuer des gens ? ». Et moi j’avais déjà préparé mes réponses de semi-blasée du genre « oh tu sais, on apprend à vivre avec et oui, j’ai déjà eu envie de tuer la dame des impôts qui répond par téléphone qu’elle ne peut pas me répondre par téléphone. Est-ce que je l’ai fait ? Non, parce que je ne sais pas où elle habite. Mais surtout parce qu’au fond, je suis un être humain comme tout le monde, j’ai juste une façon de fonctionner différente ». Faire croire aux gens que tu voudrais être comme eux alors que pas du tout. En même temps je pense aux gens différents qui voudraient être comme tout le monde. Je me dis qu’on est jamais content de ce qu’on a. C’est fou. On est tous fous en fait.
Toujours est-il que je n’aurais jamais ce genre de discussions, avec personne, si ce n’est moi-même devant le miroir de ma salle de bains. Parce que le constat pathétique est que je n’ai rien de particulier à offrir au monde. Je ne suis même pas intolérante au gluten ! Fais chier. Quoique… Je n’ai jamais fait le test en fait… C’est vrai que je pète beaucoup après avoir mangé du pain quand j’y pense… Tiens, si je faisais le test…
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Amir est un afghan émigré aux Etats-Unis. Il raconte son enfance vécue dans une banlieue cossue du Kaboul des années 70. Il y relate son quotidien de l’époque, où l’Afghanistan n’était pas le pays que l'on connaît aujourd’hui, mais plutôt un pays que personne ne...
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