Allez, demain je m’y mets. J’ai toujours une très grande motivation avant de dormir. C’est fou tous ces projets herculéens que je suis capable de déployer au moment même où Morphée vient m’embrasser.
Donc demain, c’est aujourd’hui. Il est 8 h 53, j’ai posé une tasse de café brûlante sur mon bureau, ouvert une nouvelle page blanche sur mon écran et posé mes doigts sur mon clavier, prêts à partir.
Aujourd’hui, j’écris l’histoire qui va changer ma vie, l’Histoire qui entrera dans l’Histoire ! Une histoire universelle, qui fera l’unanimité, une histoire qui mettra tout le monde d’accord, pour une fois.
Bon… J’ai quand même les yeux qui piquent parce que je n’ai pas bien dormi à cause de cette histoire d’histoire. Est-ce que c’est vraiment le jour idéal pour l’écrire ? Je devrais peut-être faire une petite sieste pour que mes yeux piquent moins. Non, allez, je dois me concentrer.
Tiens, je n’ai jamais fait attention à mon pot à crayon, c’est incroyable tout le foutoir qu’il y a dedans. On le voit bien en plus, le pot est transparent. Il y a un jeton de caddie au fond, à côté d’un mouton de poussière, c’est dégueulasse. Je vais le nettoyer et le ranger.
Il est 9 h 14, mon pot à crayon est impeccablement propre et organisé. Il y a de la poussière partout sur le bureau par contre… Bon, je vais nettoyer mon bureau, je ne peux pas travailler dans ces conditions.
9 h 47, mon bureau est propre. Elles sont très agréables ces nouvelles lingettes achetées chez Lidl, qu’est-ce qu’elles sentent bon, je ne regrette pas. Je vais vérifier sur internet si elles sont toujours en promotion, j’en rachèterai… Ouf, c’est bon, l’offre est valable jusqu’à la fin du mois. J’ai eu peur.
Où j’en étais… Ah oui, mon histoire… C’est l’histoire d’une fille qui va rencontrer un mec. Pff, nul ! Tout le monde la connaît celle-là. C’est l’histoire d’un mec qui va rencontrer une fille… Hum je crois que c’est pareil à quelques détails près. Bon, de toute façon il me faut une histoire d’amour, il en faut toujours une sinon ça ne marche pas.
L’histoire où la fille est chiante à mourir, limite insupportable, mais le gars, on ne sait pas par quel miracle, tombe quand même amoureux d’elle. Au bout de dix pages t’as envie d’étriper cette fille, lui arracher ses cheveux bien peignés et la secouer très fort pour qu’elle prenne conscience de sa chance au lieu de se plaindre qu’il a oublié la Saint-Valentin alors qu’il est tout juste 6 h 59 et qu’il dort encore, connasse ! Pourquoi je m’énerve… La pauvre Gwendoline. Je suppose que c’est comme ça que je l’appellerais. Bon, vraisemblablement les histoires d’amour ne sont pas celles que je raconte le mieux.
Ou alors Gwendoline est folle, c’est à cause de ça qu’on la trouve imbuvable au début. Finalement, c’est une sociopathe, elle ne ressent rien et tue tous ses voisins le soir de la Saint-Valentin, comme ça, pour le plaisir. Aussi parce qu’elle déteste toutes les fêtes commerciales qui poussent les gens à dépenser leur argent dans des conneries sans importance. Merde, si elle est sociopathe, elle s’en fout de ça Gwendoline… Et voilà, une belle histoire qui tombe à l’eau à cause d’un personnage mal travaillé… Aaaah je dois recommencer toute ma réflexion !
Bon… Ça pourrait être une histoire de caddie qui a perdu son jeton, une sorte d’allégorie du corps qui a perdu son âme, on ne le découvrirait qu’à la fin, ça ferait pleurer tout le monde cette histoire de caddie… Mouais…
Une histoire de chat ! Oui c’est bien les chats. Les vidéos de chats très marrants sur internet ça pullule, pourquoi je ne pourrais pas faire pareil en l’écrivant. Je ferais du storytelling sur 400 pages d’une histoire qui pourrait se regarder en une minute et dix secondes. Le style serait précurseur et me vaudrait un Goncourt.
Sinon je raconte ma vie. C’est tellement peu passionnant que ça en deviendrait passionnant. Je deviendrais célèbre en un jour et je m’interrogerais le restant de mon existence sur cette fulgurante ascension totalement incompréhensible. Les gens m’aimeraient pour des raisons que j’ignorerais et je mourrais seule et gâchée.
Eh merde, mon café est froid… C’est parti pour 1m30 de micro-ondes…
Je pense à mon rêve de cette nuit. Je monte dans un ascenseur qui devient fou, il monte à une vitesse incroyable, il tourne sur lui-même, je suis littéralement secouée dans cette boîte de ferraille et tout à coup il s’arrête net. Les portes s’ouvrent, je suis dans l’espace, l’angoisse. Je vois la Terre de loin, je me dis que le dépanneur va galérer pour arriver jusqu’ici mais j’appuie quand même sur le bouton « appel », qui n’aboutit pas. Je suis partagée entre la peur de sortir de l’ascenseur et la peur d’y rester. Je dois faire un choix, je n’y arrive pas, le temps presse et je me réveille.
Ding ! Mon café est chaud, je retourne m’asseoir devant mon écran demande à Google ce qu’il pense de mon rêve. A priori, je vais mourir. Ou être riche. Bon… Je vais lire mon horoscope pour essayer d’en savoir plus. Ok, alors je vais avoir des problèmes gastriques et m’engueuler avec un collègue parce que je ne sais visiblement pas mettre de l’eau dans mon vin ! Ça finit réellement avec un point d’exclamation, je me fais engueuler par le gars qui écrit l’horoscope. C’est dingue. Je ne comprends pas cette histoire d’eau et de vin en plus, je n’ai même pas de collègue…
Il est 10 h 33… J’ai une idée ! C’est une fille qui rêve qu’elle devient riche, elle se réveille le matin, y croit dur comme fer, se met à faire des crédits à la consommation pour anticiper sa future rentrée d’argent, devient acheteuse compulsive (surtout à cause des promotions Lidl) elle achète même le chat qui fait le buzz sur Youtube pour se marrer (en réalité ce chat n’est pas drôle, il est juste dépressif), elle est convoquée par son banquier qui lui met les points sur les « i » et les papillons dans le ventre, ils tombent amoureux, elle devient chiante, lui prend la tête à la Saint-Valentin, tue tous ses voisins dans la nuit et s’enfuit pour finir sur le parking de Lidl (là où, finalement, tout a commencé), rencontre un caddie qui a perdu son jeton et lui raconte sa descente aux enfers depuis. Le caddie la remet dans le droit chemin, elle comprend qu’elle s’est perdue et que désormais la quête de sa vie sera de retrouver son jeton, c’est-à-dire son âme. FIN.
C’est pas mal parce que je pourrais largement envisager une suite, voire une trilogie, adaptable au cinéma. Je crois que je suis un génie.
Il est 10 h 37, je vais m’allonger un peu, c’est fatigant de créer. Mais c’est sûr, demain, je m’y mets.
Les cerfs-volants de Kaboul
Amir est un afghan émigré aux Etats-Unis. Il raconte son enfance vécue dans une banlieue cossue du Kaboul des années 70. Il y relate son quotidien de l’époque, où l’Afghanistan n’était pas le pays que l'on connaît aujourd’hui, mais plutôt un pays que personne ne...
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