Le jour où j’ai écrit un scénario de téléfilm d’après-midi

par | 14 Fév 2023 | Mes petites histoires, Mes petites histoires-ENTETE

Suzanne est riche, elle est cadre supérieure dans une start-up qui a fait fortune dans des vidéos de panda sur internet, elle a un immense penthouse qui surplombe la ville et roule en Mercedes. Elle est belle, les cheveux bruns, soyeux et brillants et un corps qu’elle entretient régulièrement dans une salle de sport hors de prix. D’un point de vie occidental, Suzanne a réussi sa vie. Mais Suzanne n’est pas heureuse, il lui manque quelque chose… Un chat ? Non, elle déteste les poils. Un homme ? Non, elle déteste les poils. Suzanne ne sait pas, mais elle sent au fond d’elle un vide et malgré ses heures de shopping à répétition, elle ne le remplit pas.
Par un après-midi de février ensoleillé, elle rejoint sa meilleure amie, Élise, à la terrasse d’un salon de thé, pour lui confier ses peines. Élise, toujours de bons conseils, lui suggère de partir, de changer d’air et de se couper un peu du monde. Elle-même revient d’une retraite en Inde où elle a passé un fooooormidable moment avec les autochtones et à son retour elle a relativisé sa vie et ses problèmes pendant au moins cinq jours… Et ça, ça n’a pas de prix ! (enfin si, le billet d’avion pour le Kerala, le forfait pension complète, les taxis, bref). Et puis elle pourrait rencontrer un homme, ça ne lui ferait pas de mal, sa tuyauterie va finir par se reboucher à force. Élise trouve toujours les meilleures métaphores.
C’est sur les bons conseils de son amie que Suzanne se retrouve quelques jours plus tard à l’aéroport de Dublin, à prendre un taxi pour un village perdu en pleine campagne où elle a loué un charmant cottage d’après la description, les photos, les avis, mais surtout le prix. En arrivant devant cette charmante petite maison, elle a un coup de cœur immédiat. Les petits volets bleus, la petite barrière blanche, le petit banc dans un coin de la cour et les fleurs disséminées un peu partout rendent l’endroit encore plus merveilleux. Charmant, le site n’a pas menti. L’intérieur du cottage est spacieux, chaleureux, parquet, bois, cheminée, cuisine moderne, lit king size, baignoire géante, jacuzzi surplombant les vallées avoisinantes, sauna, hammam, salle de cinéma, bref, un véritable sanctuaire de simplicité pour se reconnecter à ses vrais besoins et à l’essentiel. Après tout, il n’y a pas internet. Elle s’endort vite ce premier soir, débordante d’émotions.
Le lendemain, elle décide d’explorer les environs avec le vélo qu’elle a repéré dans la remise. Elle pédale, cheveux au vent, sur les petites routes en slalom. Elle a mis une brindille d’herbe entre ses dents, parce que Suzanne est cool et qu’elle a déjà vu ça dans des films. Elle est libre et insouciante sur son vélo. À la sortie d’un long virage, un troupeau de moutons a envahi la route, surprise, elle n’a pas le temps de freiner (sait-elle vraiment où sont les freins) et elle chute, tête première dans le fossé. Suzanne, malgré des heures passées à la salle de sport, n’est pas franchement souple. Au même moment, dans son pick-up lui-même bloqué de l’autre côté du troupeau, John a vu toute la scène. Il sort de son véhicule, traverse le troupeau et arrive près de Suzanne qui s’extirpe laborieusement de son fossé. John l’aide à se relever, lui demande si tout va bien et si elle n’est pas blessée. Suzanne répond que tout va bien, mais en passant sa main sur son front, s’aperçoit qu’elle saigne. Quelle horreur, elle est blessée ! Devant l’urgence de la situation, John, ni une ni deux, soulève Suzanne comme une jeune mariée et la porte jusqu’à sa voiture (entre-temps, les moutons sont partis) et file à vive allure chez Owen, le vétérinaire du coin (il y a urgence et le médecin est beaucoup trop loin) (et puis Owen est sympa) (ça fait beaucoup de parenthèses pour parler du vétérinaire).
Owen soigne Suzanne qu’il a fait passer devant tout le monde. Pendant ce temps, John se ronge les ongles d’angoisse dans la salle d’attente entourés d’un doberman placide et d’un hamster très nerveux qui court dans sa roue à une vitesse folle. Deux jours que ça dure, lui dit sa propriétaire. Soudain, Suzanne apparaît et Owen rassure John en lui expliquant qu’il y a eu plus de peur que de mal, mais attention au vélo, c’est tout de même un sport à risques. Suzanne remercie Owen pour le petit pansement collé sur le front, mais il est déjà reparti traiter l’urgence du hamster. John propose à Suzanne de la raccompagner. Elle refuse, lui dit qu’elle va prendre un taxi, parce que Suzanne est une femme indépendante et qu’elle ne se laisse pas manipuler comme ça, il l’informe qu’ici il n’y a pas de taxis, elle dit qu’elle sait très bien se débrouiller, il lui demande si elle est sûre parce qu’elle ne sait même pas tenir sur un vélo ! La tension monte, Suzanne est choquée et outrée par les propos de John, le traite de con (oui, elle ose) et part se réfugier dans la salle d’attente. John marmonne dans sa barbe des choses indécentes et s’en va. Owen ressort avec le hamster calmé et suggère à sa propriétaire d’arrêter de donner du café à cette pauvre bête. Il s’aperçoit que Suzanne est encore là, l’air fâché, puisqu’elle a compris qu’effectivement il n’y avait pas de taxis dans le coin sauf pour les longues courses. Il propose à Suzanne de la raccompagner puisqu’il a fini sa journée et là, j’entends déjà des « et le doberman alors ? » Oui le doberman… Bon, mais est-ce que c’est vraiment important au vu de ce suspense insoutenable ? Et puis j’ai dit qu’il était placide, il n’était donc probablement pas malade. Sur la route, Owen dit à Suzanne que John n’est pas un mauvais bougre, il a la vie dure, il est veuf et élève seul un petit garçon de neuf ans. C’est quand même triste surtout quand on est beau et fort et musclé, se dit Suzanne en elle-même. Qu’à cela ne tienne, c’est quand même un goujat !
Rentrée dans son cottage, Suzanne rumine et à la fois ne peut s’empêcher de repenser aux bras musclés de John qui la soulève de terre comme une princesse. Suzanne est émoustillée et appelle son amie Élise qui lui conseille d’aller s’excuser auprès de John et de lui demander de la ramoner immédiatement ! Rooooh !! Suzanne raccroche, Élise est vraiment incorrigible.
Le lendemain, Suzanne a fait une tarte aux pommes et décide d’aller la porter à John, à pied, cette fois et puis il s’avère qu’ils sont voisins, comme par hasard. Elle sonne, un petit garçon ouvre la porte, il a des lunettes et une tête d’intello sensible. Le gosse c’est Harry Potter. Il lui dit que son papa n’est pas là, mais qu’il ne va pas tarder à arriver, elle peut entrer si elle veut. Le môme est inconscient de faire rentrer une étrangère chez lui, mais Suzanne est belle et elle a fait une tarte aux pommes, ne l’oublions pas. Ils s’installent aux coins du feu pour manger la tarte aux pommes et discutent. John rentre et entend des voix (pour une fois, pas celles dans sa tête) et des éclats de rire provenant du salon. Il observe la scène de loin et voit Suzanne, elle passe la main dans les cheveux de son garçon et ils rient, fort, et ont l’air de bien s’amuser. John voit son fils heureux et cela le rend heureux, lui aussi. Il tousse pour signifier sa présence. Suzanne et l’enfant se retournent et l’enfant saute dans les bras de son père et raconte comment Suzanne est trop sympa et comment Suzanne l’a bien fait rire et comment Suzanne serait super comme nouvelle maman (l’enfant est HPI, hypersensible, HPE, HPA, HPU, médium, astrologue et du coup il voit des choses que les autres ne voient pas) John et Suzanne sourient, gênés. Elle reste à dîner, parce que ça tombe bien, John avait fait une dinde aux marrons pour dix personnes. Ils boivent du vin, ils sont un peu soûls, s’embrassent et font l’amour (youhou c’est merveilleux, Suzanne ne savait plus ce que cela faisait) et le lendemain matin il lui apporte son petit-déjeuner au lit. Il lui propose de rester, elle est d’accord, elle n’avait rien prévu aujourd’hui. Non, il lui propose de rester toute la vie, elle n’est plus d’accord, ça va trop vite, John. Elle sort du lit, enroulée dans un drap, s’habille en vitesse (mais avec le drap c’est un peu galère) et part. Elle rentre, fait ses valises, appelle un taxi qui met deux heures pour arriver et quitte l’Irlande.
Elle reprend sa vie et son train-train et se retrouve face au même vide d’avant son départ. Elle rejoint Élise en terrasse, se plaint, pleure et Élise lui fait prendre conscience de son problème : elle est amoureuse de John ! Suzanne tombe des nues, elle n’y avait même pas pensé ! Elle se lève d’un coup, renverse sa tasse de thé et court vers l’aéroport. Elle finit par appeler un taxi parce que l’aéroport est à vingt kilomètres, c’est infaisable en courant et prend un vol direct pour Dublin puis encore un taxi (il y a beaucoup de taxis dans cette histoire) et arrive devant chez John. Catastrophe, la maison se fait vider par une équipe de déménageurs qui lui annonce que la destination des meubles est New York et que le père et l’enfant sont déjà partis. Noooon ! C’est un cauchemar ! Elle file chez Owen, dépitée. Là, Owen lui dit qu’il n’est pas trop tard, leur vol n’est que dans deux heures, ils peuvent arriver avant que l’avion ne décolle. Suzanne embarque avec Owen à une vitesse qui dépasse celle des meilleurs go fast et arrive à l’aéroport après avoir vomi trois fois. Elle court, elle cherche John, elle l’aperçoit enfin, il est en train de donner sa carte d’embarquement, elle crie. John se retourne, surpris, l’enfant la reconnaît et court se blottir dans ses bras. John s’avance timidement, elle lui avoue qu’elle l’aime, qu’elle pense à lui nuit et jour et qu’elle n’envisage plus sa vie sans lui. L’enfant rit, il est content. John aussi. Il serre Suzanne dans ses bras, un peu écœuré, elle sent la sueur et le vomi. Ce n’est pas grave, il l’aime quand même. Enfin, il croit. Enfin, il espère. Suzanne desserre son étreinte, il était temps pour John qui commençait à se poser beaucoup trop de questions. Elle prend un billet pour New York. Merde, sa carte Gold ne passe pas, elle a dépassé son plafond aujourd’hui. John sourit et lui offre son billet. Quel incroyable gentleman ! Ce geste, elle ne l’oubliera jamais, il scelle leur amour pour toujours.
À tous ceux qui ne croient plus aux contes de fées, voyez comme tout est possible, à toutes les Suzanne et à tous les John. Vive l’amour, vive l’Irlande, vive les taxis et vive les téléfilms de l’après-midi !

2 Commentaires

  1. Layla

    Très belle histoire, ça donne envie de visiter l’Irlande ☺

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    • Lilie

      oui, juste pou l’Irlande déjà 🙂

      Réponse

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