Un jour, parce que cela arrive, Catherine eut 40 ans et réfléchit à une promesse qu’elle avait faite quelques années en arrière. Cette promesse, elle l’avait faite aux gens qui, face à son célibat et effrayés par leur propre peur d’être seuls, lui disaient souvent « va vraiment falloir s’y mettre et faire un effort si tu ne veux pas finir seule ! » ce à quoi elle répondait qu’une chose qui devait demander un effort lui demanderait déjà beaucoup trop d’effort et à force d’infinies tergiversations elle finissait pas dire « et bien si à 40 ans je suis toujours seule, je prendrais un chien, voilà ! » ce qui, pour Catherine, clôturait le débat avec une vraie solution qui apaisait tout le monde.
Quelques mois étaient passés depuis son anniversaire, onze pour être précis et cette promesse lui revint de plein fouet avec tout le sens de sa réalité : elle était toujours célibataire et n’avait donc, a priori, fait aucun effort. Une sueur froide l’envahit. En être humain pragmatique, Catherine se connecta immédiatement au site Leboncoin afin de trouver ledit canidé qui la sauverait de sa solitude et marquerait d’un signe fort son engagement à tenir ses promesses. D’ailleurs en y pensant elle ne savait plus très bien à qui elle avait fait cette foutue promesse… Après quelques recherches infructueuses parasitées de pensées négatives, elle finit par tomber sur une annonce montrant trois petites boules de poils absolument craquantes. Le rendez-vous fut pris deux jours plus tard pour les rencontrer. En parallèle des relations humaines qui s’avèrent parfois d’une complexité absolue, cette rencontre canidesque (ce mot devrait exister) fût un coup de foudre immédiat. Unilatéral, mais immédiat. Catherine, submergée par ses sentiments, s’interrogeait tout de même sur cette histoire de consentement parce qu’après tout elle ne lui demandait pas son avis à ce petit être. Elle avait tout de même l’impression qu’il était content et se réjouissait d’une telle réciprocité, mais comme il l’était aussi avec son éléphant en peluche deux minutes avant, elle eut quand même un doute. Elle eut mal à sa fierté. Et puis, comme dans les mariages arrangés, elle se dit que l’amour viendrait après. Elle ne regrettait donc pas de s’être tapée deux heures de route pour cette rencontre et estimait d’ailleurs être sur un très bon ratio de rentabilité.
Elle rentra donc chez elle avec son nouveau compagnon, c’était si facile d’en trouver un, décidément elle se disait qu’elle n’avait vraiment fait aucun effort et que tout le monde avait raison et découvrit la joie de faire entrer dans sa vie du vivant.
Très vite, elle eut une idée précise de son éducation et de ce qu’elle voulait. Très vite, elle eut la sensation précise que cette fois, elle ne tiendrait pas sa promesse. Très vite, elle s’excusa auprès de ses amis qu’elle avait jugés avec beaucoup d’a priori et de condescendance quant à l’éducation de leurs compagnons à quatre pattes. Très vite, elle découvrit à quel point elle ne contrôlait absolument pas la situation d’autant plus parce qu’un chiot ça pisse partout et qu’au départ il faut le sortir toutes les trois heures. Très vite, elle fera le deuil de ses grasses matinées. Très vite, elle remettra en question tous ses principes et ses règles de vie. Très vite, son appartement deviendra une salle de jeux pour chien, elle marchera sur des os en bois de cerf la nuit quand elle se lèvera avec une envie de se soulager. Catherine n’imagina pas non plus que ce petit machin aller pourrir sa caisse, sauter par la fenêtre d’un 2e étage et se casser les pattes, qu’elle devra le porter pour qu’il fasse ses besoins parce qu’il ne pourra plus marcher. Elle ne savait pas non plus qu’il serait hyperactif parce que oui, ça existe aussi chez les animaux et qu’elle sera condamnée à faire des balades destinées à des chiens de traîneaux pour lui apporter sa dose de dépense quotidienne et pouvoir l’épuiser, lui qui ne pèserait que 5 kg… Elle n’avait pas conscience non plus qu’elle allait dépenser l’équivalent d’un voyage à Bali all inclusive dans des frais vétérinaires en tout genre et dans des dépenses de jouets, plaids, paniers et coussins alors que son obsession à lui serait des rouleaux vides de papier toilettes et que son lit deviendrait le sien. Parce que oui, elle ne savait pas non plus qu’il finirait par dormir dans son lit après un an de « je tiens bon, je ne céderai pas » et de regards de Chat Potté au moment d’aller se coucher. Elle ne savait pas qu’il ronflerait la nuit, éternuerait au point de la réveiller en sursaut et quand cas d’orage, il tenterait, littéralement, de rentrer dans son pyjama. Elle ne savait pas non plus qu’il serait omniprésent et despotique, qu’elle ne pourrait plus jamais aller aux toilettes seule, qu’elle ne pourrait plus jamais fermer complètement la porte de sa cabine de douche car il voudra impérativement passer sa truffe en bon contrôleur de travaux en cours, qu’elle ne pourrait pas partir à Bali (bon, de toute façon il n’y avait plus de budget) parce qu’elle ne pourrait pas le laisser seul. Elle ne savait pas non plus qu’elle calculerait ses temps de sorties à elle en fonction de ses besoins à lui et puis surtout parce qu’il ne supporterait pas la solitude et qu’elle épongerait le pipi de stress qu’il laisserait à chaque fois. Ce qu’elle ne savait pas, c’est qu’elle deviendrait son esclave et lui le maître. Très vite, elle se dit que tout cela n’avait peut-être pas été sa meilleure idée…
Peut-on parler de pervers narcissique lorsque l’on parle d’un chien ? Catherine se posait souvent la question car une chose était sûre, elle était devenue son esclave et tout cela par tacite consentement. Elle se disait que c’était de bonne guerre, elle qui ne lui avait pas vraiment laissé le choix le jour où elle l’avait arraché à sa fratrie.
Aujourd’hui cela fait trois ans et Catherine se dit qu’elle n’a pas eu conscience non plus, qu’à l’inverse, elle aimerait à ce point ce petit être vivant. Qu’elle découvrirait que oui, on peut s’attacher à un chien comme à un enfant, que oui, on peut le faire passer avant d’autres êtres humains, voire tous, que oui, elle peut avoir des conversations avec lui, même s’ils ne parlent pas la même langue, il la comprend parce que celle du cœur est universelle, que oui, en plus, il est toujours d’accord avec elle et il ne la juge jamais. Que oui, elle l’aime son petit Roi pervers despotique parce que très souvent il la fait rire quand il se met à courir à fond les ballons, poils au vent et oreilles rabattus, qu’elle rit quand il se roule dans l’herbe fraîchement tondue et qu’il ressemble au petit bonhomme de Cétélem, qu’elle rit aussi quand il se roule dans la boue…non, là elle ne rit pas, c’est pas drôle, enfin si un peu quand même, mais merde fais chier la bagnole, pffff, mais bon quand même c’est drôle. (Catherine deviendra aussi extrêmement bipolaire quant à ses sentiments envers cette petite chose) ; qu’elle sourit quand il prend des positions en dormant d’une mignonnerie à faire fondre n’importe quel psychopathe (peut-être pas Jeffrey Dahmer) et que partout, dans ses travers et dans ses aventures, il la suit. Catherine, en y pensant, est émue, parce que oui, ça vaut le coup et qu’elle s’en veut parfois, de douter du contraire.
Là où chantent les écrevisses
L’histoire se passe dans les marais de Caroline du Nord dans les années 50. Kya, une petite fille de 6 ans se retrouve seule et livrée à elle-même du jour au lendemain. Pour survivre, elle n’a que le marais, sa faune et sa flore. Elle n’est pas scolarisée et vit à...
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